La bêtise est une valeur sûre

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30/01/2014 par Thomas Fiera

Je devais être en sixième, un truc comme ça, et notre prof de français nous avait collé un sujet de rédaction où nous devions imaginer le monde du futur. A cette époque je lisais pas mal de science-fiction mais je n’avais aucune envie de pondre un truc bien banal avec des voitures volantes, des maisons bizarroïdes et des bases lunaires.

J’avais dû voir un documentaire sur l’inéluctable disparition du pétrole et je m’étais mis en tête de broder quelque chose là-dessus. Me voilà donc parti à imaginer un monde sans pétrole où les scientifiques se creusaient la tête pour trouver des sources d’énergie alternatives : des moteurs qui marchent au rire ? Trop aléatoires. Des voitures qui roulent à la gentillesse ? Les embouteillages ne seraient plus un problème. Des avions qui volent à l’intelligence ? Les crashs feraient des ravages. Restait alors l’ultime ressource, le gisement inépuisable, renouvelable à volonté : la bêtise. Et je concluais mon devoir en imaginant un monde d’imbéciles ayant enfin raison d’être heureux puisque grâce à eux le monde vivrait désormais à l’abri de la panne.

J’avais décroché un 16, ma prof avait lu ma rédac à toute la classe et j’avais failli me faire péter la gueule à la récré par un de mes condisciples qui du fond de sa glaciation mentale avait dû confusément percevoir l’ironie du propos.

Bien qu’ayant été un gamin plutôt lunaire, traversant la vie comme un somnambule et ne renonçant à mes rêveries que pour mieux me plonger dans mes livres,  j’avais eu ce jour-là un genre de crise de lucidité qui m’avait conduit à la conviction qui m’habite toujours aujourd’hui : la bêtise est reine du monde.

Dans mes bons jours, je pense qu’elle est la maladie du genre humain et dans mes mauvais qu’elle est ce qui le définit le mieux. C’est indéniable : nous sommes bêtes. Nous pensons mal, petit, mesquin. Des pensées de puces. Nos idées empruntent des chemins absurdes et tortueux et nos esprits ressemblent à un vague potage à la surface duquel, de temps à autre, viendrait brièvement flotter une pensée tant soit peu élaborée.

Parfois cette bêtise est drôle ou tout au moins risible. C’est la bêtise de Monsieur Prud’homme. La bêtise grassouillette et bien nourrie du bourgeois rougeaud dont les avis définitifs sur l’art, la politique ou l’état de la société ont la finesse du cassoulet et la légèreté du gras-double.

Souvent cette bêtise est pitoyable. C’est la bêtise bavotante et grise du perdant chronique qui, accroché à son ballon de rouge, inventera mille complots pour justifier ses échecs à répétition.

Mais surtout, cette bêtise est dangereuse, haineuse, pleine de crocs, d’épines et de pointes acérées luisantes de poison. C’est la bêtise qui tue. La bêtise qui lynche. La bêtise qui exclue, juge, bafoue et par-dessus tout déteste. Une bêtise qui gronde et grogne – trop lâche pour attaquer – et dont les sombres rêves canins sont pleins de chairs déchiquetées, d’os broyés, de gorges lacérées. C’est la bêtise de la meute. Une bêtise enragée et assassine.

Cette bêtise-là confine à la folie. Elle n’existe que « contre ». Contre les autres, contre la vie, contre le plaisir, la beauté, la joie. Elle est seulement une négation, un froid glacial qui refuse le mouvement, un givre qui bloque le progrès. Elle n’est que mort.

Cette bêtise-là, renfrognée, suspicieuse, coincée du cul et du cerveau, fronce sa petite bouche et vous crache à la gueule des anathèmes qui valent condamnations. Cette bêtise est une serial tueuse : elle a brûlé les sorcières, condamné Galilée, massacré les indiens, harcelé les juifs, asservis les noirs, persécuté les homos. Elle rêve d’une Terre aussi plate que les seins d’une bigote, de cheveux aussi courts que les idées d’un vicaire et d’une France aussi blanche que les fesses de Boutin.

Cette bêtise est là, partout, autour, dedans, dehors.

Elle est dans votre tête.

Dans ma tête.

Partout je vous dis.

N’attendant que de se réveiller pour nous transformer en abrutis.

La bêtise est comme la peste de la fable : tous n’en moururent point mais tous en furent atteints.

Mais qu’est-ce qui nous rend si bêtes nous qui sommes si intelligents ?

Nos névroses bien sûr, c’est-à-dire nos peurs. Nous avons peur. De tout. De rien et surtout de n’importe quoi. Et cette peur nous rend étriqués de la tête, frileux du neurone, émasculés du cortex. La nouveauté nous effraye, le changement nous terrorise et la différence nous rend nerveux.

Zemmour, Dieudonné, Boutin, et tant d’autres sont peut-être bêtes. Sûrement même. Mais ils sont surtout effrayés. Terrorisés. Affolés. Plutôt que d’affronter les vieilles merdes recuites tapies au fond de leurs cervelles, ils se rassurent en haïssant et se grisent en débitant des kilomètres d’âneries.

Or rien n’est plus dangereux qu’un animal qui a peur.

Le remède ?

Je n’en vois qu’un seul : arrêter de juger et commencer à penser.

Quand un homme dit « je pense que… » il cesse de penser.

Arrêtons d’avoir des opinions et essayons d’avoir des idées.

Arrêtons d’émettre des jugements et essayons de comprendre.

Arrêtons d’avoir peur et apprenons à nous laisser surprendre.

Alors, peut-être cesserons-nous d’être bêtes.

Et toc !

 

11 réflexions sur “La bêtise est une valeur sûre

  1. Tesrathilde dit :

    Très beau texte, sérieusement. Je viens régulièrement lire tes bêtises, et celle-ci mérite d’être commise 😉

  2. Stéphanie dit :

    Un joli manifesto anti cerveaux étriqués …

  3. Alors de mon côté je pense que je ne suis pas dans la dernière configuration de la bêtise que tu décris; je redoute d’être dans celle d’avant, celle des échecs à répétition , la pitoyable…Je me sens comme ça ces derniers temps, mais je ne vais pas jusqu’à la théorie du complot…
    En tous cas, ta prof était intelligente, elle, pour avoir su lire déjà ton talent et ton humour !

    • jbferrero dit :

      Je ne sais plus qui, disait que ceux qui n’ont jamais échoué seront toujours incapable de réussir. La bêtise ce n’est pas d’échouer mais c’est d’accuser les autres. Échec a longtemps été mon deuxième prénom. Un peu de peur, de la malchance et des mauvais choix. Et puis un jour, la bonne porte, le bon choix et les rencontres positives qui changent tout. Comme disent les russes qui s’y connaissent en souffrance : всё будет хорошо (vsio boudet´ karacho) : tout ira bien. Bonne chance et à bientôt.

  4. […] dans la mare aux canards… ( tiens, pour rester dans le sujet et l’esprit, lisez ça  […]

  5. Lelius dit :

    Krishnamurti essayait en son temps de faire comprendre à ceux, nombreux, qui venaient avidement chercher dans son discours comment mieux vivre, que « l’intelligence commence quand on dit : je ne sais pas ». C’est à dire quand on accepte de briser l’écran protecteur des idées reçues pour regarder, simplement et sans préjugé, au delà des remparts édifiés par nos peurs.
    Combien ont dit qu’ils avaient compris? Combien l’ont prouvé?
    Il se pourrait bien, hélas, que mes arrières petits enfants lisent – si la pratique n’a pas disparu – sur les blogs des vôtres des billets qui porteraient ce titre : « La bêtise est une valeur sûre ». Car elle l’est, assurément!
    Sans doute faudrait-il que je demande une transfusion de sang russe pour pouvoir dire « tout ira bien », mais je ne suis pas convaincu que cela suffise.
    Merci pour ce billet!

    • jbferrero dit :

      Remercions au moins la bêtise de nous offrir matière à farce et à colère. Sans elle, pas de Courteline, de Boccace ou Dino Risi. Et sachons accepter comme disait Brel, « de croiser certains soirs son regard au fond de son miroir « .

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